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Orme

Dans l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une Société de Gens de lettres (Page 11:652)

Orme, (Jardinage.) grand arbre qui vient naturellement dans plusieurs cantons de l'Europe, dans une partie de l'Asie, & dans l'Amérique septentrionale [p. 653]; mais qui se trouve placé de main d'homme presque partout dans ces différens pays, par le grand cas que l'on en fait. L'orme devient un très - gros & très - grand arbre, d'une tige droite, dont la tête est garnie de beaucoup de rameaux, & dont les racines s'étendent au loin entre deux terres. Son écorce, qui est roussâtre, se couvre, dès sa jeunesse, de rides & d'inégalités qui augmentent avec l'âge. Sa fleur, qui n'a nul agrément, paroît au mois de Mars, & bientôt elle est remplacée par une follicule arrondie, membraneuse, plate & fort legere, qui contient dans son milieu une petite graine, dont la maturité s'accomplit dès le commencement de Mai: circonstance particuliere & remarquable dans l'orme, dont on recueille les graines avant la venue des feuilles. En effet, elles ne commencent à se développer que dans le tems de la chute des semences. Ses feuilles sont ovales, dentelées, sillonnées en - dessus, & relevées de fortes nervures en - dessous: elles sont fermes, rudes au toucher, & d'un verd brun.

Cet arbre, par la stature, par le volume & l'utilité de son bois, a mérité d'être mis au nombre des arbres qui tiennent le premier rang dans les forêts. On convient que le chêne & le chataigner lui sont supérieurs à juste titre; mais le bois de l'orme convenant particulierement à certains ouvrages, il est d'un plus grand prix que le bois de chêne & de chataigner, ce qui fait que ces trois sortes d'arbres sont à peu - près dans un même degré d'estime.

L'orme se plaît dans un terrein plat & découvert, bas & aqueux; dans les lames noires & humides, dans les glaises mêlées de limon, & sur - tout dans les terres douces & fertiles, pénétrables & humides, où le pâturage est bon, & particulierement le long des chemins, des ruisseaux & des rivieres. On le voit aussi réussir souvent dans les craies humides mêlées de glaise, dans les terres mêlées de sable & de gravier où il y a des suintemens d'eau. Il se contente d'un sol médiocre & de peu de profondeur, & il vient assez bien dans toute sorte de terreins; mais il ne profite pas dans les terres trop seches, trop sablonneuses & trop chaudes, ni dans celles qui sont trop froides & trop spongieuses, & il croît bien lentement dans la glaise pure, & dans les terres trop fortes & trop dures.

Il est très - aisé de multiplier cet arbre. On peut le faire venir de graine, de rejetton, de branche couchée, de bouture & de racine: on peut aussi le greffer. Ce dernier expédient ne s'emploie que pour multiplier les especes d'ormes rares & curieuses. Si l'on veut se servir des racines, c'est une foible ressource qui exige beaucoup de travail. Les boutures demandent aussi des préparations sans pouvoir remplir l'objet en grand. Les branches couchées supposent des arrangemens donnés. Les rejettons sont la voie la plus courte, quand on se trouve a portée de s'en procurer. Mais la semence, quoique le moyen le plus long, est cependant le plus convenable pour fournir une pépiniere, & obtenir un grand nombre de plants.

Si l'on prend le parti de semer, il faut recueillir la graine lorsqu'elle commence à tomber, ce qui arrive ordinairement entre le 10 & le 20 de Mai. Elle est plus parfaite, & il vaut beaucoup mieux la ramasser après sa chûte: mais on ne peut guere se servir de cet expédient que quand on est à portée d'un assez grand nombre d'ormes rassemblés; car quand il n'y en a qu'une petite quantité, le vent disperse les graines de façon, qu'il est presqu'impossible de les amasser. Il faudra l'étendre & la laisser sécher à l'ombre pendant quelques jours. On disposera des planches de quatre piés de largeur dans une bonne terre de potager, grasse, meuble & cultivée de longue main. On y formera sur la longueur avec la pioche des rayons à - peu - près comme si l'on vouloit sémer des épinards. On espacera ces rayons de six ou huit pouces les uns des autres, afin d'avoir la facilité de sarcler avec la binette. On y répandra la graine d'orme uniformément & assez épais. On la recouvrira ensuite légerement avec la main d'un terreau très - fin, très - léger & bien criblé, d'un doigt d'épaisseur au plus: puis on humectera largement toute la planche, mais avec tel ménagement que la terre ne soit pas battue: car ici l'objet principal est de donner à cette graine toutes les facilités pour lever: elle est petite, & d'ailleurs entravée par une membrane, ensorte qu'on ne sauroit apporter trop de soin à ce premier arrangement qui décide du succès. Enfin, on laissera la planche en cet état sans la niveller, afin que les sillons, en retenant l'eau des pluies ou des arrosemens, puissent conserver plus de fraîcheur. Il faudra répéter deux fois par semaines les arrosemens, selon la sécheresse, & sarcler au besoin. Les graines leveront en moins de quinze jours, & la plupart auront en automne depuis un pié jusqu'à deux de hauteur. On pourra dès cette premiere année tirer à la main les plants les plus forts pour les mettre en pepiniere; mais ce ne sera qu'après la seconde année qu'il faudra tout transplanter. L'ormille aura alors trois ou quatre piés de haut. On pourra y travailler dès l'autonne, ou bien attendre le printems, si la terre est grasse & humide. Il faut qu'elle soit meuble & en bon état de culture. On réduit l'ormille à un pié, & on accourcit les racines. On la plante avec un gros piquet en rangée de deux piés, où les plants sont espacés à quatorze ou quinze pouces. Rien à y faire cette premiere année qu'une légere culture pour détruire les mauvaises herbes. L'année suivante on retranchera avec beaucoup de ménagement les branches latérales, c'est - à - dire, en bien petite quantité, & à proportion que l'arbre se soutient de lui même; mais il ne faut faire cette petite taille qu'à ceux qui marqueront de la disposition à former une tige droite. Quant à ceux qui se chiffonnent, ce qui n'arrive que trop, il faudra les laisser aller jusqu'au printems de la troisieme année. Alors point de meilleur parti à prendre que de les couper entierement jusqu'à un pouce de terre: c'est le seul moyen de les faire profiter. Ils s'éleveront dès cette même année au double de la haûteur qu'ils avoient, & prendront naturellement une tige droite. Au bout de trois autres années, ils auront communément deux pouces de diametre, & seront en état d'être transplantés à demeure.

En se servant des rejettons mis en pepiniere, & conduits comme on vient de le dire, on gagnera deux années; ensorte qu'au bout de cinq ans ils seront propres à la transplantation. Ces rejettons se trouvent soit au pié des vieux ormes, soit dans les places où l'on a arraché de gros arbres de cette espece, ou bien on pourra s'en procurer en faisant ouvrir la terre sur les racines des gros arbres.

Si l'on veut multiplier l'orme en couchant ses branches, cette méthode prendra autant de tems que si on les faisoit venir de graine. Les branches couchées n'auront qu'au bout de deux ans des racines suffisantes pour être mises en pépiniere, où on les conduira comme les plants venus de semence. Voyez Marcotter.

Pour faire venir l'orme de bouture, il faut autant de tems que de semence; mais le double de travail. On ne doit se servir de cet expédient que quand on ne peut faire autrement. Voyez sur la façon de faire ces boutures le mot Meurier.

On peut élever des ormes par le moyen des racines. Il faut les couper de huit ou dix pouces de longueur, les choisir de la grosseur du doigt pour le moins [p. 654], les planter en pépiniere comme les plants venus de semence, si ce n'est qu'il faut mettre ces racines du double plus proche, parce qu'il en manque beaucoup. C'est une bien foible ressource.

Enfin, on peut greffer les ormes à larges feuilles sur l'espece commune. On se sert pour cela de la greffe en écusson à oeil dormant. Ces greffes réussissent aisément, & poussent l'année suivante d'une force étonnante. Souvent elles s'élevent à plus de neuf piés; ainsi, il faut les soigner habituellement. Voyez Greffer.

De tous les arbres forestiers l'orme est celui qui réussit le mieux à la transplantation. Fût - il âgé de vingt ans, il reprendra pourvu qu'il ait été arraché avec soin. Dans ce cas, il ne faut point les étêter, mais couper toutes les branches latérales, & ne leur conserver qu'un sommet fort pethe . Cependant les arbres de deux à trois pouces de diametre sont les plus propres à transplanter. Il faudra s'y prendre de bonne heure en automne, & même dès la fin d'Octobre, si le terrein est humide & gras; car les racines de cet arbre sont sujettes à se pourrir, quand elles n'ont pas eu le tems de s'affermir, & de se lier à la terre. On risquera moins d'attendre les jours sereins qui annoncent le printems. On se gardera de planter cet arbre profondement: il veut vivre des sucs les plus qualifiés de la surface; d'ou il arrive qu'il envahit le terrein circonvoisin, & qu'il est très nuisible aux plantes qu'on veut y faire venir. Presque tous les jardiniers ont la fureur de couper à sept piés tous les arbres qu'ils transplantent: il semble que ce soit un point absolu, au - delà duquel la nature soit dans l'épuisement. Ils ne voyent pas que cette misérable routine de planter des arbres si courts retarde leur accroissement, & les prépare à une défectuosité qui n'est pas réparable. De tels arbres font toujours à la hauteur de sept piés un genou difforme, d'un aspect très - désagréable. Il faut donc planter les ormes avec quatorze piés de tige, pourvu qu'ils aient deux ou trois pouces de diametre. On les laisse pousser & s'amuser pendant quelques années au - dessous de dix piés, ensuite on les élague peu - à - peu pour ne leur laisser que les principales tiges qui s'élancent en tête. C'est ainsi qu'on en peut jouir promptement, & qu'on leur voit faire des progrès que l'agrément accompagne toujours.

On peut tailler l'orme autant que l'on veut sans inconvénient: l'élaguer, le palissader, l'étêter, au ciseau, à la serpe, au croissant; il souffre la tonte en tout tems, pourvu que la seve ne soit pas en plein mouvement. Il croît même aussi promptement lorsqu'on le restreintà une petite tête, que quand on le laisse aller avec toutes ces branches: je donne ce dernier fait sur le rapport de M. Ellis, auteur anglois, aussi versé qu'accrédité sur cette matiere.

Il est assez difficile de régler la distance qu'on doit donner aux ormes pour les planter en avenues, en quinconce, &c. Cela doit dépendre principalement de la qualité du terrein, ensuite de la largeur qu'on veut donner aux lignes; enfin, du plus ou moins d'empressement que l'on a de jouir. La moindre distance pour les grands arbres est de douze piés: cependant on peut encore réduire cet arbre à un moindre éloignement, & même le planter aussi serré que l'on voudra. Les ormes, dit encore M. Ellis, sont de tous les arbres ceux qui se nuisent le moins, & qui dans le moindre espace deviennent les plus gros arbres; & cela, ajoute - il, parce qu'on peut leur former & qu'ils ont naturellement une petite tête. Il en donne encore d'autres raisons physiques, que l'étendue de cet ouvrage ne permet pas de rapporter. L'orme, dit - il, arrive à sa perfection en 70 ans. Ses racines n'épuisent pas la terre comme celle du chêne & du frêne. Son ombre est saine tant pour les hommes que pour le bétail, au - lieu que le chêne, le frêne & le noyer donnent un ombrage pernicieux. L'orme est excellent à mettre dans les haies autour des héritages: on en coupera les grosses branches pour le chaussage. Ce retranchement ne lui laissant qu'une petite tête, empêchera ses racines de s'étendre & de nuire aux grains. Lorsque ces arbres seront trop âgés, il faudra les etêter pour les renouveller; mais avoir grand soin de faire la coupe tout pres du tronc, & de couvrir le sommet de terre grasse pour empêcher la pourriture. La racine de l'orme pénétre aussi profondément dans la terre que celles du chêne; elle a souvent une fourchette au - lieu d'un pivot, & quelquefois deux & trois; mais il n'appauvrit pas la terre comme le frêne.

L'orme est d'une grande ressource pour la décoration des jardins. Il se prête & se plie à toutes les formes. On en peut faire des allées, des quinconces, des salles de verdure, &c. mais il convient surtout à former de grandes avenues par rapport à sa vaste étendue & à son grand étalage. Cet arbre est très - propre à faire des portiques en maniere de galerie, tels qu'on les voit d'une exécution admirable dans les jardins du château de Marly. On en peut faire aussi de très - hautes palissades qui réussiront dans des endroits où la charmille & le pethe érable refusent de venir. On l'admet encore dans les parties de jardin les mieux tenues & les plus chargées de détail, où par le moyen d'une taille réguliere & suivie, on fait paroître l'orme sous la forme d'un oranger, dont le pié semble sortir d'une caisse de charmille; mais cet arbre réunit encore l'utilité aux agrémens les plus variés.

Le bois de l'orme est jaunâtre, ferme, liant, très fort & de longue durée. Il est excellent pour le charronage. Ce bois seul peut servir à former tous les différens ouvrages de ce métier. C'est le meilleur bois qu'on puisse employer pour les canaux, les pompes, les moulins, & géneralement pour toutes les pieces qu'on veut faire servir sous terre & dans l'eau. On peut laisser les ormes en grume pendant deux ou trois ans après qu'ils sont abattus, sans qu'il y ait à craindre que le ver ne s'y mette, ni que la trop vive ardeur du soleil les fasse fendre. Durant ce tems même l'aubier deviendra aussi jaune que le coeur. Ce bois n'est sujet ni à se gerser, ni à se rompre, ni à se tourmenter, ce qui le rend d'autant plus propre à faire des moyeux, des tuyaux, des pompes, & tous autres ouvrages percés, qui seront de plus longue durée que le hêtre ni le frêne: mais on observe que le bois des ormes qui sont venus dans un terrein graveleux est cassant, que les Charrons le dédaignent, & préférent au contraire les arbres qui ont pris leur accroissement dans la glaise. Les Carrossiers, les Menuisiers, les Tourneurs, &c. font usage de ce bois. Il est aussi dans la construction des vaisseaux pour les parties qui touchent l'eau. On peut mettre en oeuvre des planches d'ormes fraîchement travaillées, sans aucun risque de les voir se gerser, se dejetter ou se tourmenter, si l'on prend la précaution de les faire tremper pendant un mois dans l'eau. Enfin le bois de l'orme fait un très - bon chauffage.

On prétend que ses fleurs sont nuisibles aux abeilles, & ses graines aux pigeons: mais ces feuilles sont une excellente nourriture en hiver pour les moutons, les chévres, & sur tout pour les boeufs, qui en sont aussi friands que d'avoine. Pour conserver ces feuilles, on coupe le menu branchage d'orme à la fin d'Août, & on le fait sécher au soleil.

Par la piquure des insectes auxquels l'orme est sujet, il se forme assez souvent des vessies creuses, dans lesquelles on trouve un suc visqueux & balsamique [p. 655], qui est de quelqu'usage en Médecine. Mais on lui donne de plus la propriété d'enlever les taches du visage & d'embellir le teint.

On connoît différentes especes d'orme, dont voici les principales.

1°. L'orme champêtre: sa feuille est petite & rude au toucher; son écorce est ridée, même sur les jeunes rejettons. C'est à cette espece qu'on doit principalement appliquer ce qui a été dit ci - dessus.

2°. L'orme champêtre à feuilles très - joliment panachées.

3°. L'orme de montagne: sa feuille est grande & très rude au toucher. Il donne quantite de rejettons. Ses racines s'étendent à la surface de la teire comme celles du frêne. Il croît aussi promptement que le marceau. Il est très - propre à faire du bois taillis. Il est très convenable à mettre dans les haies. On peut le tailler & l'étêter sans inconvénient, il y poussera toujours vigoureusement. Son bois est encore plus dur, plus ferme & plus durable que celui de l'orme champêtre; il est excellent pour les ouvrages de charronnage, & on le préfere généralement au bois de toutes les autres especes d'ormes.

4°. L'orme - teille: sa feuille est plus large que celle du précedent; mais elle n'est pas si rude au toucher, & elle a beaucoup de ressemblance avec celle du noisettier. Cet arbre pousse vigoureusement, & son accroissement est très - prompt. Il ne donne point de rejettons du pié. Son bois est tendre, & presque aussi doux que celui du noyer.

5°. L'orme à feuilles lisses: cet arbre étend peu ses branches.

6°. L'orme à feuilles lisses, joliment panachées.

7°. Le pethe orme à feuilles jaunâtres.

8°. L'orme d'Hollande: sa feuille est rude au toucher, très - grande & très - belle. La membrane de ses graines est plus étroite & plus pointue que dans les ormes précedens. Il croît si vîte dans sa jeunesse qu'il surpasse pendant plusieurs années toutes les autres especes d'ormes de son âge. Mais au bout de vingt ou trente ans, les autres le gagnent de vîtesse, & viennent de mieux en mieux. Son bois n'est pas si bon. Son écorce tant de la tige que des branches est toujours éraillée, gersée & pendante par lambeau, ce qui lui donne un aspect désagréable. Il donne ses feuilles fort tard & les quitte de bonne heure.

9°. L'orme d'Hollande a feuille panachées: il croît plus lentement que le precedent, & vaut encore moins.

10°. Le pethe orme à feuilles lisses & étroites ou l'orme d'Angleterre: il fait un bel arbre très - droit, & dont la tête prend une forme assez réguliere. Ses feuilles ne tombent que tard en automne.

11°. L'orme à graine étroite: on le nomme en Angleterre l'orme de France. Sa feuille est grande & rude au toucher. On en fait très - peu de cas, & on le dédaigne autant que celui d'Hollande, cependant il est très - vivace, car il réussit dans des terreins où toutes les autres especes d'ormes se refusent.

12°. L'orme à écorce blanche: sa feuille est grande, rude au toucher, & d'un verd très - vif. Son écorce est très - lisse & de couleur de cendres. On préfére cet orme à beaucoup d'autres, à cause de la belle régularité de son accroissement. Il fait une tige droite, & il garde ses feuilles plus long - tems qu'aucune autre espece d'orme.

13°. L'orme de Virginie: sa feuille est uniformément dentelée. C'est tout ce qu'on sait encore de cet arbre.

14°. L'orme de Sibérie: ses feuilles ont aussi une dentelure uniforme, mais leur base est égale, au lieu que dans toutes les autres especes ci - dessous la base est inégale; c'est - à - dire que vers la queue, l'un des côtés de la feuille s'alonge plus que l'autre. Cet orme est très - pethe : c'est un arbre nain: sa feuille est lisse, & son écorce est spongieuse.

Orme (Page 11:655)

Orme, fécondité de l' (Physico - Botanique.) une merveille exposée aux yeux de tout le monde, & que l'on a long - tems négligé d'observer, dit M. de Fontenelle, est la fécondité des plantes, non pas seulement la fécondité naturelle des plantes abandonnées à elles - mêmes, mais encore plus leur fécondité artificielle procurée par la taille & par le retranchement de quelques - unes de leurs parties; cette fécondité artificielle n'est au fond que naturelle: car enfin l'art du jardinier ne donne pas aux plantes ce qu'elles n'avoient point, il ne fait que leur aider à développer & à mettre au jour ce qu'elles avoient. L'orme fournit un exemple de la fécondité, dont peut - être un arbre, en fait de graines seulement, qui sont le dernier terme, & l'objet de toutes les productions de l'arbre.

On sait que tous les rameaux de l'orme ne sont que des glanes de bouquets de graines extrêmement pressées lune contre l'autre. M. Dodart ayant pris au hasard un orme de 6 pouces de diametre, de 20 pieds de haut jusqu'à la naissance des branches, & qui pouvoit avoir douze ans, en fit abattre avec un croissant, & par la chûte de la branche, fit compter ce qui en restoit.

Il se trouva sur cette branche seize mille quatre cens cinquante, ci, 16450 graines.

Il y a sur un orme de 6 pouces de diametre, plus de 10 branches de 8 pieds; mais supposé qu'il n'y en ait que 10, ce sont pour ces 10 branches cent soixante quatre mille cinq cens, ci, 164500.

Toutes les branches qui n'ont pas 8 pieds, prises ensemble, font une surface qui est beaucoup plus que double de la surface des dix branches de 8 pieds; mais en ne la supposant que double, parce que peut être ces branches moindres sont moins fécondes, ce sont pour toutes les branches prises ensembles, trois cens vingt - neuf mille, ci, 329000.

Un orme peut aisement vivre 100 ans, & l'âge où il a sa fécondité moyenne, n'est assurément pas celui de 12 ans. On peut donc compter pour une année de fécondité moyenne, plus de 329000 graines, & n'en mettre, au lieu de ce nombre, que 33000, c'est bien peu ; mais il faut multiplier ces 33000 par les cent années de la vie de l'orme. Ce sont donc (trente - trois millions)............. 3300000 graines qu'un orme produit en toute sa vie, en mettant tout au plus - bas pié, & ces trente - trois millions sont venus d'une seule graine.

Ce n'est - là que la fécondité naturelle de l'arbre, qui n'a pas fait paroître tout ce qu'il renfermoit.

Si on l'avoit étêté, il auroit repoussé de son tronc autant de branches qu'il en avoit auparavant dans son état naturel, & ces nouveaux jets seroient sortis dans l'espace de 6 lignes de hauteur ou environ, à l'extrémité du tronc étêté.

A quelqu'endroit & à quelque hauteur qu'on l'eût étêté, il auroit toujours repoussé également, ce qui paroît constant par l'exemple des arbres nains qui sont coupés presque rès - pié, rès terre.

Tout le tronc, depuis la terre jusqu'à la naissance des branches, est donc tout plein de principes ou de petits embryons de branches, qui à la vérité ne peuvent jamais paroître à la fois, mais qui étant conçus, comme partagés par petits anneaux circulaires de 6 lignes de hauteur, composent autant d'anneaux, dont chacun en particulier est prêt à paroître, & paroîtra réellement, dès que le retranchement se fera précisément au - dessus de celui.

Toutes ces branches invisibles & cachées, n'existent pas moins que celles qui se manifestent; & [p. 656] si elles se manifestoient, elles auroient un nombre égal de graines, qu'il faut par conséquent qu'elles contiennent déja en pethe .

Donc en suivant l'exemple proposé, il y a dans cet orme autant de fois 33 millions de graines, que 6 lignes sont contenues dans la hauteur de 20 pieds, c'est - à - dire qu'il y a (quinze milliars huit cens quarante millions) 15840000000 graines; & que cet arbre contient actuellement en lui - même de quoi se multiplier, & se reproduire un nombre de fois si étonnant. L'imagination est épouvantée de se voir conduite jusque - là par la raison.

Et que ce sera - ce, si l'on vient à penser que chaque graine d'un arbre contient elle - même un second arbre qui contient le même nombre de graines; que l'on ne peut jamais arriver ni à une graine qui ne contienne plus d'arbre, ni à un arbre qui ne contienne plus de graines, ou qui en contienne moins que le précédent, & que par conséquent voilà une progression géométrique croissante dont le premier terme est un, le second 15 milliards 8 cens 40 millions, le troisieme, le quarré de 15 milliards 8 cens 40 millions, le quatrieme son cube, & ainsi de suite à l'infini? La raison & l'imagination sont également perdues & abîmées dans ce calcul immense, & en quelque sorte plus qu'immense. Hist. de l'acad. des Sciences, ann. 1700. (D. J.)

 

Source Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une Société de Gens de lettres rédigé entre 1751 et 1772 sous la direction de Diderot.

 


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